« La question des QI supérieurs est encore taboue en Suisse »

D’après Mark Dettinger, président de Mensa Suisse, la plupart des sociétés suisses ne considèrent pas l’intelligence comme étant aussi importante que la compétence sociale ou l’expérience professionnelle. A tort.

La gestion des hauts-potentiels intellectuels (HPI) en Suisse est plus tabou que dans les pays anglo-saxons, estime Mark Dettinger.

ManagementLa gestion des hauts-potentiels intellectuels (HPI) est plus taboue en Suisse que dans les pays anglo-saxons, d’après Mark Dettinger, président de Mensa Suisse, un club de personnes ayant réussi un score dans les 2% supérieurs d’un test de QI standardisé. Interview.

Bilan : La gestion des hauts-potentiels intellectuels (HPI) est plus délicate dans les sociétés suisses que dans les sociétés anglo-saxonnes. Pouvez-vous commenter?

Mark Dettinger : Il est vrai qu’en Suisse, et en Europe continentale en général, le sujet des HPI est beaucoup moins populaire et plus tabou que dans le monde anglo-saxon. Il y a là deux différences: la première étant que les gens en Suisse ne veulent souvent pas essayer de faire un test de QI, car ils ont peur d’avoir un résultat faible. Il semble que cette peur soit moins répandue en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, peut-être parce que des tests standardisés comme le SAT, qui est similaire à un test de QI, sont plus courants dans les écoles là-bas. Les gens y sont donc habitués.

La deuxième différence, qui est plus importante, c’est que la plupart des sociétés suisses ne considèrent simplement pas l’intelligence comme étant aussi importante que d’autres traits, comme la compétence sociale, l’expérience de travail antérieure ou le fait d’être consciencieux. Malheureusement, c’est une erreur. Alors que les traits mentionnés sont sûrement aussi importants, toutes les études ont essentiellement identifié l’intelligence comme le seul et meilleur indicateur de performance au travail. La compétence sociale occupant en général la deuxième place.

A votre avis, quels sont les meilleurs moyens de gérer les HPI dans les entreprises?

Tout d’abord, les HPI veulent un haut degré d’autonomie et veulent prendre les décisions eux-mêmes. Ils n’aiment pas la bureaucratie et détestent être micro-gérés. Ils adorent aussi apprendre de nouvelles choses – et comme ils apprennent très vite, ils ont souvent besoin d’avoir une nouvelle tâche avec laquelle ils peuvent continuer d’apprendre. La nouvelle tâche devrait être significativement plus complexe et, si possible, différente en nature.

Les HPI sont des généralistes, donc l’exposition à une variété de fonctions est importante. Un programme de rotation, au sein duquel ils peuvent bouger dans la société, entre différentes unités ou pays, et accomplir différentes fonctions à chaque fois, serait excellent.

Enfin, il devrait y avoir un cheminement de carrière rapide. Quand un travail excellent est livré, il devrait être possible d’être promu rapidement, disons en une ou deux années. Les sociétés qui promeuvent après 4 à 6 ans pourraient être trop lentes pour certains HPI. De nombreux HPI peuvent avoir donné le meilleur d’eux-mêmes au cours des trois premières années et, quand aucune promotion ou augmentation de salaire significative ne leur est offerte, concluent que leur travail n’est pas récompensé et passent à une nouvelle société.

Quels sont les principaux défis ou obstacles rencontrés par les membres de Mensa, en relation avec leur vie professionnelle?

Afin d’éviter de créer une fausse impression, je devrais tout d’abord dire qu’environ 85% des membres de Mensa réussissent très bien dans leur travail. Néanmoins, des problèmes dans la vie professionnelle d’un membre, ou de n’importe quel HPI, peuvent arriver. Le problème principal est l’ennui.

Un problème typique que certains HPI ont, c’est que ce sont des généralistes. Or, leur patron les voit comme des spécialistes, ce qui est une erreur. Cela peut arriver, par exemple, si le HPI a «trop bien» réussi une tâche particulièrement difficile. Cela peut mener le patron à penser que c’est sa spécialité. Il lui donne donc des tâches similaires, encore et encore. Le patron est satisfait de l’excellent travail du HPI, mais il ne réalise pas, ou cela lui est égal, que le HPI a d’autres points forts aussi.

Pour le HPI, le travail devient alors une routine, il s’ennuie de la monotonie. Si le HPI le dit à son patron, ce dernier ne comprend pas – « Pourquoi veux-tu faire quelque chose de différent? Ce que tu fais est fantastique! Tu es notre meilleur expert pour ce travail!». Comme le HPI continue de se sentir sous-stimulé, il perd son intérêt pour son travail et dirige toute son énergie mentale inutilisée dans ses hobbies. Si la situation ne s’améliore pas, il peut changer de travail, recommencer à étudier ou fonder sa propre société.

Source : bilan.ch