« Surdouée, j’ai enchaîné les petits boulots et les dépressions »

En cette journée mondiale de la Santé sur le thème de la dépression, Marie*, 36 ans, raconte l’influence qu’a eu son QI élevé sur sa santé mentale. Aujourd’hui identifiée comme surdouée, elle revient sur ces années difficiles. Témoignage.

Article de l’Express-Propos recueillis par Emilie Tôn, publié le 

À l’école, j’ai toujours eu du mal à me faire aimer des autres enfants. Malgré tous mes efforts, je n’étais pas comme eux. Ils ne m’aimaient pas et je ne comprenais pas pourquoi.

En entrant au CP, je savais déjà lire. J’étais très en avance. Il a été question de me faire sauter une classe, mais comme je pleurais en permanence, la direction a décidé que je n’étais pas prête à rejoindre des enfants plus âgés. J’étais docile, gentille. Parce que j’avais les meilleures notes de la classe, les autres enfants me traitaient de « chouchoute de la maîtresse », alors qu’elle me méprisait.

Je n’avais pas beaucoup d’efforts à fournir pour me maintenir première de la classe. Au CM1, je ne me suis pas méfiée d’une nouvelle élève. Elle a pris ma place: j’en ai beaucoup pleuré et l’ai reconquise. Je me devais d’être la meilleure. Je voulais que la maîtresse m’aime. En classe, je me tortillais dans tous les sens pour répondre, mais l’institutrice disait toujours « on sait que tu sais, quelqu’un d’autre veut répondre? » Je semblais toujours l’excéder. J’ai fini par arrêter de lever la main.

J’ai laissé l’intello que j’étais derrière moi

L’arrivée au collège laissait espérer des changements positifs. J’allais chez les grands et tournais ainsi le dos au calvaire qu’était l’école primaire. Mais dès la première évaluation, les problèmes ont commencé. Je subissais un harcèlement féroce, qui a continué longtemps. Une fois de plus, j’étais l’intello, et les autres élèves n’aimaient pas les intellos. Ils faisaient de mes amies et moi leurs souffre-douleurs, mais il n’y avait que moi que cela perturbait. Le soir, je pleurais dans ma chambre.

Progressivement, mon niveau a baissé, sans être mauvais pour autant. Je voulais absolument me faire des amis parmi les gens populaires. Donc, lorsque je suis entrée au lycée, j’ai décidé de laisser l’intello que j’étais derrière moi. J’ai décroché et suis devenue une élève très moyenne -ce que ma psy appelle aujourd’hui le nivellement- au point d’avoir mon bac au rattrapage. J’ai été à la fac, puis j’ai arrêté pour enchaîner les petits boulots, ainsi que les dépressions

Les surdoués, plus sujets aux dépressions

Je n’ai jamais su m’y prendre avec les gens. J’ai l’impression de ne pas avoir les outils pour vivre en société. Pendant des années, j’ai surjoué la fille libérée. Je ne savais plus qui j’étais. Je souffre d’anxiété sociale. A chaque nouvelle rencontre, je suis dans une situation de stress intense. Toutes ces choses m’ont poussé à croire que j’étais folle, anormale, dérangée.

Lorsqu’une chose m’intéressait, je me plongeais à corps perdu dans les recherches. Cela m’obsédait, il fallait que j’épuise le sujet. Et lorsque je me suis intéressée à la dépression, j’ai appris, dans un article, que les surdoués y étaient plus sujets que la normale. Je n’ai pas tout de suite relevé.

Parallèlement, mon fils aîné de trois ans m’a demandé de lui apprendre à lire. Je le savais intelligent, à 18 mois, il parlait très bien et fascinait tous les adultes qui le croisaient. J’ai alors commencé à me documenter sur les enfants précoces. Au fil de mes recherches, j’ai revu toute mon enfance. J’ai donc fait appel à une psychologue spécialisée. Au téléphone, elle m’a dit qu’il était préférable que mon fils attende un peu avant de passer les tests, car les résultats ne sont pris en compte qu’à partir de 6 ans par l’Education nationale. Cependant, je pouvais les passer.

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Le jour du bilan, j’ai fondu en larmes dans son bureau. Pendant toutes ces années, je pensais que j’étais bête, que c’était pour cette raison que je n’arrivais pas à m’adapter. En réalité, j’étais surdoué.

Une affaire de famille

Selon la psy, il est possible que toute ma fratrie soit concernée. Ma soeur a vu une spécialiste qui lui a confirmé que c’était son cas. Mon fils -qui a aujourd’hui huit ans- a un très haut quotient intellectuel (plus de 145). J’ai peur qu’il en souffre, mais, pour l’instant, tout semble bien se passer. Les enseignants essaient de lui donner des exercices plus adaptés à son niveau, mais nous n’avons pas voulu qu’il saute une classe car il voulait rester avec ses copains. Il a la chance d’en avoir.

Le plus jeune, qui a cinq ans, est probablement concerné aussi. Il est moins populaire à l’école maternelle. Quand je vais le chercher le soir à la garderie, il est souvent en train de jouer tout seul dans son coin alors que les autres jouent en groupe. Ça me fait de la peine, mais lorsque je lui demande s’il est heureux, il me répond que oui.

Un taux de suicide préoccupant

J’ai expliqué à mon grand que son cerveau fonctionnait différemment, en lui précisant qu’il n’était pas plus intelligent que les autres, mais que son intelligence fonctionnait autrement. Le taux de suicide est assez préoccupant chez les surdoués, mais mon ex-mari -qui a appris son haut QI à l’adolescence- comme mon fils aîné ont l’air bien dans leur peau, preuve que la souffrance vient aussi du fait de ne pas l’avoir identifié.

Malheureusement, les tests sont chers et toutes les familles n’ont pas les moyens de les payer [le WISC, ou « échelle de Weschler », coûte plusieurs centaines d’euros]. Et s’il est possible de les passer gratuitement dans les centres médico-psychologiques, les psys n’y ont pas de formation spécifique pour décrypter correctement les résultats. Savoir qu’un enfant est précoce sans comprendre son fonctionnement ne l’aide pas. C’est regrettable, car les conséquences peuvent être catastrophiques.

*Le prénom a été modifié

Source : L’express