Surdoués mais vulnérables: le mal-être des adultes « zèbres »

(AFP) – Hypersensibles, leur cerveau est un bolide et leur QI frôle les sommets. Un atout mais aussi une souffrance pour certains « zèbres », des adultes à haut potentiel intellectuel qui, à l’instar d’enfants surdoués, pâtissent de leur différence et d’un sentiment de décalage avec la société.

Une partie d’entre eux, impossible à dénombrer en l’absence d’étude épidémiologique, souffre « d’une manière terrible, avec à la clé des échecs successifs à tous les niveaux de leur existence, en particulier professionnel », assure Bruno Choux, 59 ans, coordinateur pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur de la jeune association Zebr’Adultes.

[ZEBRE-AND-CO]-Surdoués mais vulnérables

Des parcours chaotiques

« J’en peux plus de voir autour de moi des dizaines de personnes qui sont testées zèbres et qui se retrouvent à 30 ans, 40 ans, 50 ans, au Smic, dans des parcours professionnels où ils n’avancent pas », insiste cet architecte, qui a découvert sa douance (surefficience intellectuelle, ndlr) sur le tard et à qui on a souvent conseillé, dans sa jeunesse, de laisser tomber les études après quatre redoublements.

Des parcours chaotiques évoqués aussi lors d’un récent colloque à Vitré (Ille-et-Vilaine), où une psychologue intervenant auprès de chômeurs en difficulté confiait repérer parmi eux « pas mal de zèbres, pas la majorité, mais beaucoup ». « Et ils tombent de l’arbre quand je leur en parle! », poursuivait-elle.

Et pour cause, car le profil des adultes surdoués ne colle pas vraiment avec le mythe du génie, brillant et sans soucis.

Connexions ultra-rapides

Dotés d’un quotient intellectuel très élevé, d’au moins 130 quand la moyenne est de 100, les adultes surdoués possèdent surtout, dès la naissance, un fonctionnement cérébral atypique.

Une manière de penser réunissant à la fois des caractéristiques intellectuelles et psychoaffectives, explique Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne spécialiste des surdoués, à l’origine de la création de Zebr’adultes.

Autrement dit, leur grande puissance intellectuelle, due à des connexions neuronales ultra-rapides, est indissociable d’une grande sensibilité, source de vulnérabilité, qui les conduit parfois à vivre une broutille comme un « cataclysme ».

Une sensation d’isolement et de décalage

Cette mécanique particulière – attestée par les neurosciences et qui explique aussi leur pensée « en arborescence », très foisonnante mais difficile à faire partager – « peut donner énormément de force, des leaders incroyables capables de mobiliser les autres et, en même temps, crée souvent une sensation de solitude, d’isolement, de décalage », précise la psychologue.

Un mal-être qui va « de la personne qui se sent toujours un peu angoissée, déprimée, jusqu’à des dépressions sévères, des hospitalisations pour des tentatives de suicide, des burn-out, des troubles anxieux généralisés majeurs, une incapacité à s’insérer dans le milieu professionnel », témoigne Jeanne Siaud-Facchin.

« On épuise tout le monde, on se met en marge »

« Le monde du travail est souvent très difficile » pour les adultes surdoués, reconnaît Muriel Lussignol, présidente de Zebr’adultes, créée en janvier dernier et qui regroupe plus d’une centaine d’adhérents, de « l’étudiant à des mamies de 70-80 ans ».

Ils y « souffrent d’un manque de reconnaissance, ne comprennent pas pourquoi ils sont laissés de côté, pourquoi leurs idées ne sont pas exploitées, pourquoi on ne s’appuie pas sur eux », détaille-t-elle.

Outre l’ennui « parce qu’ils ont dix coups d’avance sur ce qui va se dire » en réunion, ils « peuvent passer pour arrogants quand ils expriment leur pensées », poursuit-elle.

« On a des idées atypiques, c’est probablement la force des zèbres mais, au bout d’un moment, on épuise tout le monde, on se met en marge », raconte Bruno Choux, en soulignant également « le manque de confiance en soi chronique ».

Le syndrome de l’imposteur

Et c’est sans compter sur le syndrome de l’imposteur, très fréquent et parfois paralysant chez les adultes surdoués.

« L’alchimie subtile entre une lucidité aiguisée et une sensibilité exacerbée fait que le surdoué doute toujours: il y a une autocritique qui se met en place en permanence, l’impression qu’on n’est pas à sa place et que les autres vont se rendre compte qu’on est beaucoup plus nul » que ce qu’ils pensent, analyse Jeanne Siaud-Facchin.

« Un truc de fou! », confirme Benjamin Tardif, 31 ans, chef d’entreprise et président de l’association de surdoués Mensa France, en se remémorant son début de carrière, dans une société de jeux vidéo: « je me disais toujours: il faut que je m’en aille, ils vont se rendre compte que je suis mauvais », témoigne-t-il. Une fois parti, il sera remplacé par… trois personnes.

Des parents qui se reconnaissent et qui s’effondrent

Un syndrome qu’il parviendra à surmonter notamment grâce au repérage de sa douance à 23 ans, après une première dépression à 6 ans. « Ça a été un boost, je me suis dit que j’avais moins de chances d’échouer qu’un autre donc que je pouvais aller encore plus loin », se félicite-t-il, en précisant ne jamais s’être « senti au-dessus des autres, juste différent ».

Le diagnostic, « parfois douloureux » pour Muriel Lussignol, « est une façon de resituer son histoire, en se réconciliant avec soi-même », estime de son côté Jeanne Siaud-Facchin. Elle s’est notamment intéressée aux adultes à haut potentiel en voyant des parents, venus consulter pour les difficultés scolaires ou comportementales de leur enfant, « s’effondrer » à l’annonce de la douance de celui-ci, se reconnaissant finalement dans son parcours.

« Il y a de plus en plus de choses mises en place pour les enfants surdoués (…) mais pour les adultes, je trouve qu’on est encore très loin du compte », regrette Muriel Lussignol, dont l’association veut alerter les pouvoirs publics sur ce « gâchis énorme de potentiels en France ».