Apprendre : la drogue des “multi-potentiels”

Écrit par Anne-Laur. Jun 23, 2016

 
 

Le rôle du sentiment de nouveauté dans le bien-être mental

Je me suis longtemps demandé ce qui n’allait pas chez moi.

que je suis un peu plus introvertie que la moyenne, et qu’en tant que personnalité “idéaliste” et intuitive, je n’ai pas vraiment de juste milieu entre l’ennui le plus profond et l’exhaltation la plus complète. Je m’emmerde dans 99% des situations où mon cerveau n’est pas sollicité sur de “vrais sujets” (c’est à dire pour moi : de l’authentique, de l’humain, du profond ou du complexe).

J’ai une très faible capacité à relativiser afin de voir les aspects positifs de ce qui se présente. Cette intolérance à l’ennui amène des crises d’angoisse qui empirent depuis que “je prends de l’âge” : comme si j’avais dépassé ma limite de tolérance à me trouver quelque part où je n’ai pas envie d’être, à vivre une expérience “déjà vue” qui me donne l’horrible impression de revivre “le jour sans fin”. Le sentiment de perdre mon temps me rend physiquement malade, comme un intolérant au gluten qui s’enfile une bonne baguette. Je suis claustrophobe de la répétition.

D’un autre côté, je me suis passionnée très intensément pour divers sujets, et diverses cultures qui m’ont chacun amené à étudier, apprendre, écrire, analyser et décortiquer de manière quasi-autistique pendant plus de 10 ans, souvent au détriment de bien d’autres aspects de la vie (vie sociale, relations, sommeil, santé, etc.). Mon premier “vrai job” sans description de poste officielle m’a mené tout droit au burn-out en moins de trois ans : j’étais au Canada, dans une startup en pleine ébullition avec des moyens et un boss qui me faisait confiance. J’ai voulu toujours faire autre chose, découvrir, proposer, aller plus loin dans les idées et les projets, changer de poste, improviser… au point de perdre le fil et de me retrouver toute seule “dans ma tête”, un peu à côté de la plaque et plus vraiment productive. C’est le revers de la médaille d’un job où le patron vous donne carte blanche dans un monde en fait régi par des principes assez rigides que je ne maîtrisais pas (celui de la tech). Au moins, ça m’a permis d’identifier par moi-même mes limites, sans passer deux décennies à blâmer une hierarchie écrasante, le manque de moyens ou de liberté d’initiative. J’ai pu aller au bout de moi-même.

Bref, j’aurais dû m’en douter, mais comme pour tout le monde, mon pire ennemi, c’est la machine infernale qui siège dans ma boîte cranienne.

Dans mon cas, il s’agit d’une formule 1 avec un pilote qui ne sait pas vraiment conduire. Il suffit qu’on arrête de rouler à fond, qu’il faille patienter quelques instants à un feu rouge ou qu’on se retrouve dans une partie compliquée du circuit pour que ça se mette à piaffer, à vrombir, bref, à me polluer l’existence. Et même à pleine vitesse, il y a des sorties de piste, des dérapages incontrôlés, bref, des ratés. On ne peut pas dire que tout ça respire le contrôle.

Ce rapport très ambivalent entre l’ennui et l’exhaltation est d’ailleurs un symptôme de bipolarité. Même s’il ne suffit pas à lui seul à poser un tel diagnostic de maladie mentale, il est caractéristique des comportement maniaques. En fait, c’est exactement la définition de “maniaco-dépressif” : la phase maniaque étant une phase de profonde agitation qui rend les réactions du sujets disproportionnées par rapport à la situation réelle, et la phase dépressive étant exactement l’inverse. Quand on est trop “investi” d’un côté, le corps et l’esprit récupèrent comme ils peuvent en se fermant totalement au monde de l’autre. On rentre alors dans une phase où on ne tolère plus le moindre dérangement et où tout semble vide, loin, flou. On est généralement irritable (autre symptôme de dépression), parce que très fatigué, dans les deux cas.

L’alternance entre les phases est épuisante, car aucune ne permet vraiment de se ressourcer. On est toujours en train de fonctionner à la limite de la rupture, dans un sens ou dans l’autre.

Apprendre : un moyen de canaliser l’esprit

Après l’auto-apitoiement, la culpabilité, la honte, bref tout ce qui permet de retourner la violence de ses émotions contre soi, il faut grandir. J’ai mis du temps. Je ne comprenais pas pourquoi tout était si hors de contrôle, pourquoi je m’isolais, pourquoi tout devenait si compliqué, si difficile.

Tant que j’étais dans le cocon scolaire et universitaire (avant le doctorat), les choses allaient mieux. Le rythme était imposé, il y avait des temps d’apprentissage, des temps de test des connaissances, mais le tout formait un ensemble très structuré et cohérent, qui permettait d’intégrer les savoirs progressivement. Lorsque tout cela a volé en éclat au moment d’entrer dans la vie professionnelle à plein temps, j’ai perdu le contrôle de la formule 1. En fait, je réalise maintenant que j’ai cessé de me nourrir quand j’ai cessé d’étudier.

Apprendre est une formidable thérapie. Bien sûr, faire du yoga, marcher dans la nature et sortir manger de bons petits plats, c’est important aussi. On ne peut pas nier que tenir un journal est une forme de thérapie. Se confier à ses proches, se détendre un peu, reconnecter avec le vrai monde, c’est positif.
Mais rentrer dans un nouveau processus d’apprentissage est toujours l’ultime remède pour les cerveaux qui ont tendance à tourner en rond facilement.

Je retrouve ce sentiment chez. Les angoisses, l’ennui et le décalage sont dûs à cette accoutumance à la nouveauté qui, brutalement, cesse d’être nourrie. On est en manque. On a besoin de sa dose de stimulation, d’ouverture, de nouveauté. Je le retrouve aussi chez les “éternels étudiants”, ceux qui ont choisi d’investir sur eux-mêmes dans des études au gré de leurs intérêts, et non pas dans le seul but de trouver un job bien payé à la sortie. Ceux-là sont d’ailleurs nombreux à être aussi des nomades, car le mode de vie sédentaire (surtout en France) incite moins à la poursuite de longues études dans des domaines diversifiés.

Les  dont on parle enfin grâce au travail d’Emilie Warnick sont des curieux, mais ce sont surtout des Formules 1. On ne le sait pas toujours. Il faut apprendre à se piloter soi-même pour éviter que toute cette puissance se retourne contre nous. Il ne s’agit pas d’intelligence ou de QI, mais d’une manière de fonctionner basée sur la curiosité, l’avidité de savoirs, le besoin de nouveauté, la nécessité du défilement des choses et du temps.

Nous sommes des machines qui consomment beaucoup. Tant qu’on ne l’a pas compris nous-mêmes, on se détruit sans le savoir en essayant de se conformer à un modèle d’existence qui va à l’encontre de notre nature profonde : l’exploration, la découverte, l’inachèvement.

Il est essentiel de prendre conscience de son propre besoin de “nourriture”, et de tout faire pour le satisfaire tout au long de la vie, en s’affranchissant autant que possible des contraintes imposées par notre société, nos croyances ou notre entourage.

Assumer l’inachèvement : la clé du bonheur pour les nomades du savoir

Rester dans une démarche d’apprentissage, c’est aussi assumer l’inachèvement de toute chose. A partir de là, on respire. Rien ne sera jamais fini, clôt, acquis pour toujours. On ne sera jamais expert de rien, et c’est tant mieux. On peut aussi kiffer étudier la psychologie pendant 5 ou 6 ans et ne jamais devenir psychologue. Ou s’éclater à apprendre la céramique pour ne jamais ouvrir son atelier.

Toutes les connaissances sont richesses. Pas besoin de les justifier par l’application de celles-ci une décennie ou deux avant de s’autoriser à passer à autre chose.

Dans la vie, on peut aussi vouloir se constituer une immense boîte à outil sans avoir envie de tous les user jusqu’à la couenne. On a le droit de choisir ses priorités et son mode de “nourriture” favori, celui qui satisfera le type de machine infernale abritée bien au chaud dans notre cerveau. Ca peut paraître évident, et pourtant nos sociétés fonctionnent encore complètement à l’encontre de cette logique : on étudie une chose pour travailler, puis, on travaille en répétant cette chose. Et c’est tout.

Les taux de reconversion professionnelles explosant les 70% depuis le début des années 2010, on voit bien que cette manière de faire devient petit à petit minoritaire.

Les éternels apprenants, les nomades du savoir sont déjà les leaders de notre monde.

Source : medium.com