De Howard Gardner à Yves Richez: Une évolution des Intelligences Multiples

Première Partie

Yves Richez  poursuitles travaux de Gardner

« Il me semble de plus en plus difficile de nier qu’il existe au moins plusieurs intelligences, qu’elles sont relativement indépendantes les unes des autres et qu’individus et cultures peuvent les modeler et les combiner en les adaptant de multiples manières » (Gardner 1997, p. 18).

Par ses travaux scientifiques Howard Gardner est parvenu à rendre compte de la diversité et de la complexité de l’intelligence humaine. Il a ainsi suggéré une nouvelle compréhension du potentiel humain en soutenant l’existence de plusieurs formes d’intelligences dont on peut observer qu’elles ne sont pas réductibles les unes aux autres et qu’elles offrent, de par leurs combinaisons possibles, d’infinies variations.
Dans son approfondissement des travaux de Howard Gardner, Yves Richez souligne combien en Occident certaines formes d’intelligence ont été privilégiées par rapport à d’autres. « Nous pourrons garder à l’esprit que, durant des siècles, ce sont principalement les intelligences logico-mathématique et linguistique qui ont dominé. Howard Gardner en faisait aussi le constat: « Tout un chacun, et les écrits universitaires n’y échappent pas, se focalise, quand il s’agit d’intelligence, sur une combinaison d’intelligences linguistique et logique » (Gardner, 2004, p.9).
En s’appuyant sur les principes théoriques de Howard Gardner, Yves Richez prolonge son travail d’investigation des formes d’intelligence. Ainsi, aux intelligences identifiées par Howard Gardner (logico-mathématique, linguistique, musicale, kinesthésique, intrapersonnelle, interpersonnelle, spatiale et naturaliste), Yves Richez vient spécifier que l’intelligence scientifique trouve une autonomie par rapport à la logico-mathématique.
Par ailleurs, après dix années de travail, il en propose une dixième (dès lors que la scientifique devient autonome) à savoir l’intelligence extrapersonnelle, souvent appréhendée intuitivement comme « intelligence des situations ». Yves Richez développe aussi l’approche de  Howard Gardner en spécifiant pour chaque forme de l’intelligence les composantes-cœur à partir desquels il est possible d’entamer un protocole d’observation et d’évaluation. Il complète enfin les huit critères scientifique de Howard Gardner par trois autres : une configuration spatio-temporelle sans laquelle la ou les formes de l’intelligence ne peuvent se manifester, de la potentialité sans laquelle la ou les formes de l’intelligence ne peuvent prendre appui, enfin, une utilité sans laquelle la ou les formes de l’intelligence ne peuvent se déployer (sous forme de modes opératoires).
Enfin, Yves Richez investigue le sujet sensible soulevé par Gardner: l’usage « intempestif » du terme « intelligence ». Ses travaux l’amènent à préciser que toutes les « facultés humaines » ne peuvent être associées à la catégorie « intelligence ». Il spécifie la catégorie habileté en y intégrant les modes opératoires en interaction directe avec le réel et pour lesquels il n’y a pas d’activité de l’esprit (au sens grec du terme), comme la kinesthésique, la naturaliste, la spatiale, l’extrapersonnelle, l’intrapersonnelle et pour partie la musicale.

L’intelligence scientifique

Dans son étude sur les formes d’intelligence, Howard Gardner regroupe les aptitudes de type mathématique et scientifique au sein d’une même forme d’intelligence : la logico-mathématique. Ainsi des capacités aussi distinctes que le maniement de chaîne logiques ou l’observation des phénomènes physiques se retrouvent groupées sous  une même forme d’intelligence. Yves Richez, dans son approfondissement des travaux de Howard Gardner, réalise ici une clarification en démontrant qu’en réalité l’intelligence logico-mathématique et l’intelligence scientifique peuvent opérer l’une à l’écart de l’autre en mobilisant des modes opératoires distincts sans amalgame possible. Si elles peuvent s’influencer, elles peuvent tout autant vivre leur vie. Des exemples historiques comme Platon (mathématique), Aristote (scientifique), Faraday (scientifique), Newton (mathématique), Edison (scientifique) montrent la nuance et l’écart : « Il semble important d’insister sur l’idée d’abstraction dont l’objectif ne relève pas d’une application pratique, mais plutôt de la création de modèles ».

Ceci amène au fait que la singularité du mathématicien est de maîtriser des chaînes de raisonnements plus ou moins longues nécessitant comme qualités sous-jacentes rigueur et scepticisme. A l’inverse, le scientifique entretient et encourage le lien entre le monde et la pratique . La faculté de relier (reliance) des éléments dispersés et, ce faisant, de proposer des explications relatives aux interactions observées à partir de règles simples est aussi une qualité du scientifique.Un autre point à mettre en exergue est l’intuition. En effet, cette dernière caractérise le scientifique dans le sens où celui-ci pose de nouvelles questions et trouve la réponse qui va entraîner un changement de paradigme (id. p.107108).  La composante-cœur de la logico-mathématique est « abstrait-rationnelle », là où celle de la scientifique est « intuitive-pragmatique ». Par intuitive, il faut comprendre connaissance spontanée sans  connaître la chaîne de raisonnement ayant conduit au dit résultat .

Thomas Edison: « la valeur d’une idée dépend de son utilisation »

Eymeric de Saint GermainAinsi, dans l’explicitation des Modes Opératoires Naturels (MO.O.N.) qu’il fait de ces deux formes d’intelligence, Yves Richez précise comment l’une opère depuis le réel (physicalité) et y revient toujours par son pragmatisme (utilité pratique) alors que l’autre évolue essentiellement dans l’abstraction (idée sans lien direct avec la réalité): « Le MO.O.N. scientifique confère la faculté d’observation et d’écoute de l’environnement pour le comprendre, élaborer une théorie à partir d’une intuition, et questionner autrement une problématique tout en restant ancré dans l’univers physique ». Doté d’une curiosité naturelle à investiguer de nouvelles contrées en vue de créer des passerelles, il peut aussi se former une idée en la représentant sous un schéma transmissible aux autres, et avoir un sens affûté de la déduction et de l’exploration.
Le MOON Mathématique, quant à lui donne la faculté d’abstraction rapide selon un ordre précis. Il permet de longues chaînes de raisonnement visant à la démonstration mais restant le plus souvent dans le monde des « objets » (des idées). Il a la capacité à intérioriser par transformation des actions, à développer une inférence logique sur des aspects purement symbolique, à bâtir des hypothèses. Il sait faire preuve de rigueur et de scepticisme, a le souci de la précision, voire de la perfection. (Richez, 2015).

Bibliographie :

GARDNER H., Les intelligences multiples, Retz, 2008.

RICHEZ Y., Emergence et actualisation des potentiels humains, Mémoire de recherche, Université de Tours 2006.

RICHEZ Y., Stratégie d’actualisation des potentiels, Qui-opère-selon-stratégie, Thèse doctorale, Université Paris Diderot, 2015.

Source : En Terre d’Enfance