Autisme et HQI: quels liens?

Par Adeline Lacroix, doctorante en Psychologie et Neurosciences.

Comment faire la distinction entre une personne autiste et une personne surdouée ? C’est l’une des questions que l’on me pose souvent. Cet article vise d’une part à éclairer succinctement les raisons pour lesquelles cette question se pose et d’apporter quelques éléments de réponse.

Dans le DSM-5, la définition de l’autisme repose sur trois points essentiels (American Psychiatric Association, 2013). Tout d’abord, les deux grands critères diagnostiques doivent être présents, à savoir des difficultés persistantes dans les interactions sociales et dans la communication, accompagnées d’intérêts spécifiques, de comportements stéréotypés et de spécificités sensorielles. Ces particularités doivent être apparues au cours du développement précoce et sont donc remarquables dans la petite enfance. Enfin, pour qu’elles donnent lieu à un diagnostic, elles doivent résulter en une altération cliniquement significative (critère D du DSM-5). En d’autres termes, cela doit générer un handicap, ce qui est peut-être le point le plus souvent négligé actuellement. Ce dernier point est important car si la prévalence de l’autisme est actuellement considérée comme étant de l’ordre de 1%, les traits autistiques, eux, peuvent exister et se répartir chez l’ensemble de la population (Allison et al., 2008; Baron-Cohen et al., 2001; Constantino & Todd, 2003; Posserud et al., 2006). De ce fait, il n’est pas toujours facile de savoir où se situe la frontière entre autisme et non autisme, d’autant que si les personnes autistes et les personnes non autistes avec des traits autistiques prononcés partagent des caractéristiques cliniques, elles peuvent aussi partager certaines particularités neuroanatomiques (Focquaert & Vanneste, 2015). Il s’agit notamment de spécificités dans certaines régions jouant un rôle dans les aptitudes sociales comme le cortex temporo-occipital, le cortex temporal inférieur, l’insula ou encore l’amygdale. Là encore, il faut bien se représenter qu’il n’y a pas un cerveau autiste bien distinct d’un cerveau non autiste (si c’était le cas nous aurions des marqueurs biologiques fiables pour identifier un TSA). Ainsi, le flou de la frontière entre le spectre de l’autisme et le spectre du non-autisme demeure.

En termes de QI et de fonctionnement cognitif, tous types de profils peuvent être observés chez les personnes autistes, même si certains types sont plus présents que d’autres, les personnes autistes montrant souvent des pic d’aptitudes dans des domaines spécifiques (Chiang et al., 2014). La méta analyse de Chiang et al. (2014), bien que souffrant de certains biais (puisqu’elle contient des études contenant elles-mêmes certains biais, comme le fait qu’il n’y ait pas d’étude concernant les personnes autistes avec haut potentiel et pas d’étude avec un nombre de fille élevé), montre que la répartition des scores de QI chez les personnes autistes semble suivre une loi normale (comme dans la population générale).

Distributions des scores de QI chez la poulation asperger (en bleu) et Autiste de Haut niveau (en rouge) – issu de Chiang et al. (2014)

Le terme « surdoué » ou « haut potentiel intellectuel (HPI)» ou encore « haut QI » (HQI), quant à lui, correspond aux personnes qui ont un QI très supérieur à la moyenne, c’est-à-dire, supérieur à 130. Cette définition est simple et la seule à faire l’objet d’un réel consensus (pour plus de détail voir l’article de Franck Ramus et Nicolas Gauvrit publié dans La recherche et sur le blog de Franck Ramus). En conséquence, la question posée en introduction semble vite résolue car nous parlons au final de deux choses distinctes. D’une part, nous avons une condition avec des symptômes spécifiques entrainant un handicap, d’autre part, nous avons un fonctionnement cognitif supérieur à la moyenne, n’entrainant pas de handicap.

De ce fait, nous pouvons nous interroger sur l’origine de l’amalgame entre les deux. En réalité, la notion de HPI a joui d’une littérature faste ces dernières années dans laquelle les surdoués ont été décrits comme des personnes en décalage avec les autres, hypersensibles, inadaptés, anxieux etc. Le portrait stéréotypé du savant solitaire et incompris, dans sa bulle et hypersensible, et au final handicapé, s’est donc renforcé dans l’esprit des gens, amenant même la croyance populaire que la surdouance serait en réalité un continuum du spectre de l’autisme. Il existe en réalité bien peu de fondements scientifiques venant appuyer les difficultés sociales et le fait que les personnes avec HQI rencontreraient plus de difficultés que les autres. Ceci est détaillé toujours dans l’article de Franck Ramus et nous pouvons également retrouver la déconstructions d’un certain nombre de mythes sur le HPI dans le livre de Nicolas Gauvrit, « Les surdoués ordinaires ». Je ne reviendrai donc pas dans les détails sur ce sujet mais ce qu’il faut retenir de cela, c’est que globalement, beaucoup d’études menées sont biaiséescar elles se concentrent sur des échantillons de personnes qui se sont rendues chez un psychologue pour obtenir un diagnostic. Dans bien des cas, cela implique qu’il y a une problématique particulière, au-delà du HQI. Lorsque des études sont réalisées sur de plus grands échantillons où toute une population est testée, alors les caractéristiques cliniques souvent attribuées aux personnes surdouées ne sont pas retrouvées. Toutefois, il est possible que certaines différences qualitatives relevées chez certains surdoués par des cliniciens puissent relever, dans un nombre faible de cas, de l’autisme, ou encore, dans un nombre plus important de cas, de traits autistiques. Ceci pourrait expliquer l’amalgame pouvant être fait. Toutefois, ce n’est pas parce que certaines personnes sont surdouées et autistes, ou parce que d’autres sont surdouées et avec des traits autistiques (ces derniers pouvant aussi avoir des difficultés, même si “difficultés” ne veut pas forcément dire handicap), qu’il existe un continuum entre ces deux conditions. Une des rares études portant sur le sujet indique justement que l’un des profils retrouvés chez certains enfants surdoués s’apparenterait au profil autistique (Boschi et al., 2016). Mais on parle bien de « certains » enfants, et il existe donc d’autres profils.

A ma connaissance, une seule autre étude s’est intéressée à la distinction entre le profil d’enfants et adolescents surdoués avec ou sans TSA associé. Cette étude a montré que les deux groupes différaient de manière importante dans leur capacités adaptatives (Doobay et al., 2014). En particulier, les jeunes autistes avaient des scores largement en dessous des normes concernant le domaine social, alors que leurs scores se trouvaient dans la moyenne dans les domaine de la communication et des aptitudes en vie quotidienne, même s’ils étaient significativement inférieurs aux scores des jeunes n’ayant pas de diagnostic d’autisme dans cette étude. Par ailleurs, les parents et les professeurs des jeunes avec un diagnostic d’autisme reportaient davantage de comportements atypiques, d’évitement social et de difficultés d’adaptabilité, de dépression ou encore des problèmes attentionnels. A l’inverse, les scores sur les échelles utilisées pour les enfants qui n’étaient pas autistes se trouvaient dans les normes, en accord avec la littérature indiquant que les enfants HPI ne sont pas plus prompts que leurs pairs à rencontrer des difficultés socio-émotionnelles.

Ainsi, les éléments scientifiques dont nous disposons à l’heure actuelle ne permettent pas de faire de liens entre les profils cliniques des personnes surdouées et des personnes autistes.

En revanche, un lien entre HQI et autisme pourrait être évoqué au niveau génétique. Une large étude de 2015 a pu montrer que certaines variations génétiques associées à l’autisme étaient également associées à un QI plus élevé chez les personnes non autistes présentant cette variation (Clarke et al., 2016). Ceci semble confirmé par une autre étude de 2017 (Sniekers et al., 2017). Toutefois, notons bien qu’il ne s’agit pas là d’une corrélation entre des spécificités cliniques communes qui seraient retrouvées chez les uns et les autres. Ce qui est mentionné dans ces études, c’est que certaines variations génétiques associées à l’autisme sont également retrouvées chez des personnes non autistes (leurs traits autistiques n’ont pas été évalués), avec haut QI. Cela explique donc que l’on puisse retrouver dans la même famille des personnes autistes et des personnes surdouées. De la même manière, il existe des liens génétiques entre l’autisme et la schizophrénie et la bipolarité (O’Connell et al., 2018), ce qui n’implique pas non plus un continuum (mais il semble que ce genre de lien avec des conditions moins désirables est beaucoup moins discuté sur les réseaux sociaux, ce sur quoi je ne m’étendrais pas…) . Il est d’ailleurs intéressant de constater que dans les premières descriptions de l’autisme de Kanner (Kanner, 1943) et Asperger (Asperger, 1944), ces deux médecins avaient pu observer que les enfants décrits provenaient souvent de familles dans lesquelles se trouvaient à la fois des personnes très intelligentes et à la fois des personnes assez atypiques, voire, les deux. Un biais de recrutement n’est pas à exclure (si à l’heure actuelle, les classes les plus privilégiées vont bénéficier d’un meilleur accès au diagnostic et au soin, on peut imaginer qu’au début/milieu du XXe siècle, cela devait être encore plus présent). Toutefois, ces données génétiques apportent aussi des éléments de réflexion importants.

Ce qu’il faut retenir :

– L’autisme et le fait d’avoir un HQI sont deux choses distinctes. Avoir un HQI n’implique aucun symptômes et se définit par un QI > 130 (de manière la plus consensuelle)

– Il est possible d’être autiste et d’avoir un HQI, mais ce n’est pas la majorité des cas ; il est plus probable d’avoir un HQI sans être autiste, tout en ayant certains traits de l’autisme, puisque les traits autistiques existent dans l’ensemble de la population

– Il existe possiblement certains liens génétiques entre l’autisme et le HQI, mais cela se manifeste par un HQI chez les personnes non autistes ayant ces gènes

– et si on me demande mon avis sur les tableaux qui dressent la distinction entre les deux : je les trouve généralement peu pertinents car ils s’appuient sur de fausses représentations du HQI (e.g., difficultés sociales etc.)

Bibliographie:

Allison, C., Baron-Cohen, S., Wheelwright, S., Charman, T., Richler, J., Pasco, G., & Brayne, C. (2008). The Q-CHAT (Quantitative CHecklist for Autism in Toddlers): A normally distributed quantitative measure of autistic traits at 18-24 months of age: preliminary report. Journal of Autism and Developmental Disorders, 38(8), 1414–1425. https://doi.org/10.1007/s10803-007-0509-7

American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM-5®). American Psychiatric Pub.

Asperger, H. (1944). Die „Autistischen Psychopathen” im Kindesalter. Archiv für Psychiatrie und Nervenkrankheiten, 117(1), 76–136. https://doi.org/10.1007/BF01837709

Baron-Cohen, S., Wheelwright, S., Skinner, R., Martin, J., & Clubley, E. (2001). The Autism-Spectrum Quotient (AQ): Evidence from Asperger Syndrome/High-Functioning Autism, Malesand Females, Scientists and Mathematicians. Journal of Autism and Developmental Disorders, 31(1), 5–17. https://doi.org/10.1023/A:1005653411471

Boschi, A., Planche, P., Hemimou, C., Demily, C., & Vaivre-Douret, L. (2016). From High Intellectual Potential to Asperger Syndrome: Evidence for Differences and a Fundamental Overlap—A Systematic Review. Frontiers in Psychology, 7. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2016.01605

Chiang, H.-M., Tsai, L. Y., Cheung, Y. K., Brown, A., & Li, H. (2014). A Meta-Analysis of Differences in IQ Profiles Between Individuals with Asperger’s Disorder and High-Functioning Autism. Journal of Autism and Developmental Disorders, 44(7), 1577–1596. https://doi.org/10.1007/s10803-013-2025-2

Clarke, T.-K., Lupton, M. K., Fernandez-Pujals, A. M., Starr, J., Davies, G., Cox, S., Pattie, A., Liewald, D. C., Hall, L. S., MacIntyre, D. J., Smith, B. H., Hocking, L. J., Padmanabhan, S., Thomson, P. A., Hayward, C., Hansell, N. K., Montgomery, G. W., Medland, S. E., Martin, N. G., … McIntosh, A. M. (2016). Common polygenic risk for autism spectrum disorder (ASD) is associated with cognitive ability in the general population. Molecular Psychiatry, 21(3), 419–425. https://doi.org/10.1038/mp.2015.12

Constantino, J. N., & Todd, R. D. (2003). Autistic Traits in the General Population: A Twin Study. Archives of General Psychiatry, 60(5), 524–530. https://doi.org/10.1001/archpsyc.60.5.524

Doobay, A. F., Foley-Nicpon, M., Ali, S. R., & Assouline, S. G. (2014). Cognitive, Adaptive, and Psychosocial Differences Between High Ability Youth With and Without Autism Spectrum Disorder. Journal of Autism and Developmental Disorders, 44(8), 2026–2040. https://doi.org/10.1007/s10803-014-2082-1

Focquaert, F., & Vanneste, S. (2015). Autism spectrum traits in normal individuals: A preliminary VBM analysis. Frontiers in Human Neuroscience, 9. https://doi.org/10.3389/fnhum.2015.00264

Kanner, L. (1943). Autistic disturbances of affective contact. Acta Paedopsychiatrica, 35(4), 100–136.

O’Connell, K. S., McGregor, N. W., Lochner, C., Emsley, R., & Warnich, L. (2018). The genetic architecture of schizophrenia, bipolar disorder, obsessive-compulsive disorder and autism spectrum disorder. Molecular and Cellular Neuroscience, 88, 300–307. https://doi.org/10.1016/j.mcn.2018.02.010

Posserud, M.-B., Lundervold, A. J., & Gillberg, C. (2006). Autistic features in a total population of 7-9-year-old children assessed by the ASSQ (Autism Spectrum Screening Questionnaire). Journal of Child Psychology and Psychiatry, and Allied Disciplines, 47(2), 167–175. https://doi.org/10.1111/j.1469-7610.2005.01462.x

Ramus, F., et Gauvrit, N. (2017). La légende noire des surdoués. La Recherche.

Sniekers, S., Stringer, S., Watanabe, K., Jansen, P. R., Coleman, J. R. I., Krapohl, E., Taskesen, E., Hammerschlag, A. R., Okbay, A., Zabaneh, D., Amin, N., Breen, G., Cesarini, D., Chabris, C. F., Iacono, W. G., Ikram, M. A., Johannesson, M., Koellinger, P., Lee, J. J., … Posthuma, D. (2017). Genome-wide association meta-analysis of 78,308 individuals identifies new loci and genes influencing human intelligence. Nature Genetics, 49(7), 1107–1112. https://doi.org/10.1038/ng.3869