L’autre avenir des surdoués

On entend souvent parler d’un Hugo, passant son bac à 12 ans, ou d’un Pierre, entrant en licence de mathématiques à 13…Mais jamais on ne parle de ces miliers de jeunes et d’adultes, qui bien qu’ayant un quotient intellectuel les qualifiant de surdoués, ne réussissent pas à trouver leur place dans notre société actuelle.

[ZEBRE AND CO] Julie 30ans, surdouée, au RSA

Moi Julie, 30 ans, surdouée, au RS

Je voulais parler aujourd’hui, ou plutôt écrire au nom de tous ceux qui, comme moi, se trouvent en marge du système.

Voici un aperçu de mon histoire

Née à Lyon en 1985, mon père est syrien, arrivé en France à 20 ans il a toujours travaillé dans un groupe de presse régional. Il parle couramment français et écrit de la poésie en français. Très bien intégré, il gravit peu à peu les échelons dans son entreprise sans jamais toutefois devenir cadre. Ma mère, elle est née à Paris, blonde aux yeux bleus, elle incarne parfaitement l’image de la femme française « pure souche ».

A 10 ans je me présente pour intégrer le collège privé de ma ville en banlieue lyonnaise. Le proviseur me demande ce que je lis à l’époque, et je lui réponds « Rimbaud ». Etonné, il me corrige : « tu veux dire plutôt Rambo ? ». Il me faudra insister pour qu’il comprenne qu’il s’agit bien d’Arthur Rimbaud. Ses écrits tiennent une bonne place dans la bibliothèque de mon père, à côté des Paroles de Prévert et des Fleurs du Mal de Baudelaire.

A chaque trimestre j’obtiens les Félicitations du conseil de classe, mon père pour me récompenser m’emmène à l’auditorium voir La Flûte enchantée, ou le Lac des cygnes. Pour les options je choisis l’allemand et le latin pour être dans la classe des meilleurs élèves, bien que je n’aie aucune affinité avec ces langues. Le Brevet sera une formalité je l’obtiens haut la main.

J’intègre ensuite un des meilleurs lycées lyonnais, cette fois on m’explique que bien que je sois musulmane il faudra que j’apprenne à me fondre dans le moule de l’établissement. Je ne comprends encore pas trop ce que cela signifie mais je m’exécute. J’en profite pour arrêter les cours de piano que je prenais depuis mes 6 ans. Je suis une élève studieuse, calme et réservée. Certains professeurs se plaindront d’ailleurs de n’avoir pas entendu le son de ma voix. Je prépare un Bac ES, que j’obtiens avec mention Bien.

Je pourrais continuer en prépa d’écoles de commerce mais je suis fatiguée de toute cette pression, de cette concurrence entre les élèves, alors je décide, au grand désespoir de mon père, d’aller à l’université. Je commence une double licence AES / LEA à l’université Lyon 3, au bout de deux ans je décide de changer car cela manque trop « d’humain » pour moi. Je préfère les sciences de l’éducation. J’entre directement en troisième année de licence, que je poursuis avec un master, les deux obtenus avec la mention Bien. J’obtiens même une mention Très Bien pour mon mémoire de master professionnel en Promotion de la Santé, ce qui me permet de poursuivre en doctorat.

Parallèlement je trouve un emploi à La ligue contre le Cancer du Rhône, en CDD. Mon employeur est ravi, mais une fois le projet terminé il n’a rien à me proposer. Je trouve alors un autre poste, à Marseille cette fois, toujours en CDD pour 9 mois à 1450 euros net par mois, mais avec une promesse qu’au bout il y aura un CDI. Je suis mariée, j’ai un enfant d’un 1an. Je fais déménager tout le monde pour aller m’installer à Marseille malgré tout. Ma directrice est ravie, au bout des 9 mois pourtant au lieu du CDI elle me propose à nouveau un CDD de 9 mois. Je signe, je n’ai rien d’autre. J’adore ce travail, je suis très performante, trop peut être. J’ai trop d’idées, je fais ma thèse de doctorat sur mon temps libre, le week end et le soir quand notre fille est couchée. Mon mari a dû démissionner pour me suivre, il est au chômage et entame une formation de BTS en électrotechnique pour se reconvertir. Mes recherches de thèse m’apprennent qu’il y a des interventions plus efficaces que d’autres à mener en promotion de la santé, j’en parle à mes collègues, à ma directrice, ne comprenant pas pourquoi on utilise les subventions publiques pour continuer des actions inopérantes sur le terrain, pourquoi je dois inventer des rapports d’évaluation à remettre aux financeurs.

Brusquement de « très compétente » je deviens « trop intellectuelle », « illogique » à son goût, on ne peut plus me faire confiance, on cherche à me rabaisser, à me mettre la pression. Finalement je ne verrai jamais la couleur du fameux CDI. Je pensais pouvoir travailler pour l’intérêt général en intégrant des structures associatives…Grosse désillusion. Mon mariage prend l’eau, je quitte Marseille pour retourner vivre chez mes parents avec ma fille Alice sous le bras. Je me remets en question, qu’ai-je fait de travers ?

Je décide d’aller faire tester mon intelligence pour comprendre si j’ai véritablement un problème. Après deux heures de tests, on m’explique que je fais partie de la population à haut potentiel intellectuel, autrement dit, je suis censée être « surdouée ». Oui, peut être…mais je suis maintenant au chômage. J’envoie une cinquantaine de candidatures pendant mes deux années de chômage, je passe quelques entretiens mais on me recale souvent parce que je n’ai pas le permis de conduire. Je me rends compte que cela constitue un handicap dans notre société actuelle, même si ça ne m’a jamais manqué. J’en parle au conseiller Pôle Emploi :

– Ah désolée, vous touchez déjà trop d’allocation, on ne peut pas vous le financer.

Quand ce n’est pas le permis, on m’explique qu’ils ont contacté mon ancienne directrice et qu’elle n’a pas une haute opinion de moi…Je comprends que je dois faire une croix sur le secteur de la promotion de la santé et me réorienter. J’en parle de nouveau au conseiller Pôle Emploi :

– Ah désolé, vous êtes déjà trop diplômée, on ne peut rien pour vous.

Bon voilà, je fais quoi ? Je décide de créer une auto-entreprise et de devenir coach scolaire, en me disant qu’après tout, ce que j’ai le mieux réussi dans ma vie ce sont mes études, alors je vais aider les jeunes à réussir les leurs. Seulement il faut de l’argent pour louer un cabinet, j’ai à peine de quoi vivre. Je n’ai plus d’allocation chômage à présent, je suis au RSA, je touche 450 euros, 150 euros de pension alimentaire, et 350 euros d’allocation logement. Je paye un loyer de 615 euros pour le deux pièces dans lequel je vis avec ma fille près de chez mes parents, je n’ai pas voulu la changer d’école après notre séparation, pour ne pas la traumatiser davantage. Alors je monte mon projet et vais voir l’ADIE, une agence d’aide à la création d’entreprise. Ils me félicitent pour mon idée innovante, et m’accordent un prêt. Je dois rembourser 120 euros par mois pendant 3 ans. Chaque mois je suis à découvert, et les rares clients que je reçois payent à peine les 250 euros pour la location du cabinet deux jours par semaine. Je fonctionne ainsi pendant 1 an, puis décide de renoncer au cabinet et de recevoir les clients chez moi, dans mon salon, qui est déjà ma chambre.

A côté de ça, je me suis mise à écrire de la poésie moi aussi, j’autoédite deux recueils, et puis un essai sur le coaching scolaire pour aider les parents à accompagner leurs enfants même s’ils n’ont pas les moyens de se payer un coach. J’ai appris à créer des sites internet car je n’ai pas les moyens de faire appel à un professionnel, je me suis formée au référencement web en autodidacte, je voudrais me former davantage alors je demande au référent RSA un financement :

– Ah désolé, il n’y a plus de crédits pour les formations, on nous a tout supprimé.

Je décide alors de renoncer. Je termine le remboursement de mon prêt et cherche une activité professionnelle plus « en vogue » qui me permettra enfin de vivre confortablement, et d’être disponible pour ma fille qui est en CE1 à présent. J’opte pour un DU de l’université de Nanterre pour devenir chef de projets E-Learning, ça me semble un bon compromis. Seulement c’est 3500 euros l’année, je ne les ai pas.

Je retourne voir le référent RSA qui me répond toujours qu’il ne peut rien pour moi. Alors je trouve un stage de 7 mois, le temps de la formation dont la gratification (500 euros / mois) me servira à payer la formation. Seulement un problème se pose encore : si je déclare cette somme, la CAF réduira mon RSA, or je ne peux pas me le permettre.

Je retourne encore une fois voir le référent pour lui demander quoi faire, il ne sait toujours pas. Il ne peut pas me dire de combien sera amputé mon RSA, ni qui contacter pour expliquer ma situation, alors voilà. J’en suis là. Entre temps ma propriétaire a décidé de reprendre son logement. J’ai 6 mois pour trouver quelque part où aller avec ma fille. Le dossier de logement social a été déposé il y a 6 mois en préfecture, je fais soit disant partie des cas prioritaires, et pourtant je n’ai toujours rien. Je prie fort en me disant qu’il y a forcément une solution qui va arriver, et je me demande encore pourquoi ?

Pourquoi cette société laisse des personnes comme moi sur le carreau simplement parce qu’ils ne rentrent pas dans les clous ?

Mon cas n’est pas isolé, j’ai un QI de 130 et au lieu de le mettre au service de la France, je me retrouve à quémander un travail et un logement. Je n’ai rien fait de mal, je n’avais pas de grosses difficultés à la base. J’ai simplement eu le malheur de vouloir faire au mieux toute ma vie, de rester intègre.

Je crois qu’il est temps de faire bouger les choses, la France ne peut plus se permettre de laisser filer ses cerveaux à l’étranger ou de les laisser choir sur le trottoir. Il est temps de changer le regard que nous portons sur ceux qui sont en dehors du système. Parmi eux, il y a de grands peintres, de grands écrivains, de grands pédagogues, de grands ingénieurs, de grands logisticiens…Nos cerveaux à hauts potentiels nous aident à voir en dehors des cadres, à trouver des solutions innovantes, à être créatifs, et nous ne demandons pas mieux que de les mettre au service de notre société. Alors laissez-nous enfin une place ! Ouvrez-nous la porte de vos administrations, de vos entreprises, de vos associations, pour que nous puissions vous apporter notre sensibilité, notre vivacité d’esprit et notre humour. Je vous remercie.

Source : agoravox.fr